Au revoir

La petite aiguille s’agite et cherche le Nord. La route est devant soi ; l’étoile polaire le dit.

Il faut la prendre, cette route, partir, quels que soient nos états d’âme.

Un regard en arrière dessine la marche de la barque, les traces qu’elle laisse.

Celles-ci  ne sont pas tirées au cordeau ; elles ont les  zigzags du jour.

Les vagues viennent les effacer et pousser l’équipage en avant.

Il est difficile de ne pas se retourner, chercher à voir ce qu’il en reste, regretter le temps passé.

Il faut partir, apprendre à mourir. C’est un temps de deuil qui  invite à revenir sur soi.

Je suis un fils de la mer. Ses eaux salées et parfois furieuses bouillonnent dans mes veines.

Son immensité me fait aimer ce qui est beau et grand. Et souffrir des mesquineries humaines.

Ses tempêtes m’ont appris l’humilité, au refrain de mon père :

« on ne joue pas avec la mer, elle est parfois cruelle ».

Mais pour vous, amis que je vais quitter, je prendrai l’image du désert.

Je l’ai aussi fréquenté. Lui, non plus, ne vous laisse pas indemne.

Je l’ai vu, de mes yeux,  refleurir et rosir toutes les pentes de l’Assekrem.

Ce matin là, je me suis dit :

un peu de terre, un peu d’eau, un peu de soleil, une semence venue d’on ne sait où…

et la vie est là en abondance.

Chacun de nous est un désert, chacun passe au désert ; nul n’y échappe.

Il y a les déserts de sable ; il y a les déserts intérieurs :

les  déserts de nos cœurs, la sécheresse de l’amour, les brûlures du soleil,

les mirages du pouvoir, les morsures de nos langues, les nuits froides de la foi. Que sais – je !

Ce désert, cette terre, c’est chacun de nous, ce lieu où le Christ nous attend près d’un puits

à  une étape de la marche, quel que soit notre choix de vie.

C’est ainsi que j’ai essayé de vous voir,  –  chacun – , durant mon séjour parmi vous.

Chacun de vous, terre irriguée au baptême, exposée au soleil de Dieu,

semée de graines diverses et différentes,

capable de porter du fruit et de faire refleurir notre terre.

Durant trois années, j’ai essayé, sans doute parfois mal inspiré,

de nous faire remonter, ensemble, à la source,

vers cette eau jaillissante de l’Evangile : le Christ.

Lui, au cœur de nos vies ; Lui,  en  tête, sur le chemin où chacun avance pas à pas ;

Lui, voulant faire de nous son Peuple dans l’Eucharistie au – dessus des clochers, au – delà de ce qui désunit; Lui blessé dans nos blessures nous invitant à mettre de l’huile sur nos plaies humaines, dans un service de diaconie,  en frères que nous sommes.

Je suis venu, heureux de la mission confiée,  avec cette conviction  que quelles que soient les tempêtes, le calme ou les contre – courants l’Eglise d’aujourd’hui comme celle d’hier et même celle d’avant  est assistée de l’Esprit depuis les premiers temps :

 Je le crois vraiment :  l’Esprit poursuit son œuvre dans le monde.

Nul d’entre nous n’est abandonné sur une plage au gré des vents…

C’est Lui qui peut redonner du souffle

et remonter au Christ vers la source

pour déborder parmi les hommes.

Peut – être n’y ai – je pas cru suffisamment moi – même

et me suis découragé  d’ avoir été « casseur » plus que bâtisseur.

Je vous en demande pardon.

Je crois pourtant qu’il y a parmi vous de nombreuses gouttes d’eau

qui font fleurir  cette  paroisse.

L’ordination des frères Iulian et Duy a été pour elle  un moment de grâce

où  elle est apparue  parée de sa beauté : de fleurs, d’unité, de chants et de musiques,

de repas préparé,  partagé, de signes d’amitié et de fraternité.

Ainsi la relève est là et l’Eglise continue sa route, sans changer de cap :

 l’Assomption demeure, fidèle à sa tradition parmi vous ;

c’est une route qui demandera toujours  de la souplesse

 aux manœuvres que les vents de demain commanderont.

Quant à moi, je m’en vais  avec :

un merci pour tout ce que j’ai reçu de vous,

un au – revoir, un « à – Dieu » possible si je le mérite comme vous,  pour ceux que je ne reverrai plus.

un souhait : que vos jeunes grandissent dans le bonheur d’une vie droite et généreuse,

une conviction : que chacun de vous sache qu’il a du prix aux yeux de Dieu.

Aimez – vous vous – mêmes, comme Dieu vous aime.

Aimez – vous les uns les autres, comme le Christ le demande.

Je vous demande simplement de prier pour moi avec ces mots qui me sont devenus familiers ces derniers temps :

« Seigneur, fais de moi ce que tu voudras. Je ne marchande pas, je ne mets pas de conditions. Je ne cherche pas à savoir où tu me conduis. Je serai ce que tu voudras. Je ne dis pas que je te suivrai où tu iras, car je suis faible, mais je me donne pour que tu me mènes où tu voudras. » (Newman)

P. Noël Le Bousse         Juillet 2013.